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Des chercheurs analysent les rapports entre nature et littérature de jeunesse

Animaux en voie de disparition, pollution, réchauffement climatique… D’inépuisables sources d’inspiration pour les auteurs d’albums pour enfants, de BD ou de romans pour adolescents. Rassemblés au sein du programme scientifique EcoLitt, des chercheurs s’intéressent aux relations entre nature et littérature de jeunesse.

Quelle est la place de la nature dans les pages pour la jeunesse ? Cette question n’est pas un sujet du prochain bac de français mais le thème sur lequel planche une équipe de chercheurs de la région Pays de la Loire. Ils étudient les liens entre écologie et littérature au sein du bien nommé programme EcoLitt*. « Ce programme associe des chercheurs issus de différents laboratoires de l’Université de Nantes, du Maine et d’Angers, précise Nathalie Prince, professeure de littérature et directrice du 3LAM (Langues, Littératures, Linguistique des universités d’Angers et du Maine) à l’Université du Maine. Il y a des spécialistes de la littérature anglaise, espagnole, chinoise, allemande mais aussi des comparatistes. » Sébastian Thiltges est l’un de ces experts en littérature comparée. Il y a 2 ans, ce jeune chercheur soutenait une thèse de doctorat consacrée aux « paysages silencieux dans les romans réalistes publiés en France, en Angleterre et dans les pays germanophones durant les années 1850-1900 ». A l’occasion de cette thèse, Sébastian se découvre une passion pour un champ de recherche qu’il n’avait jamais exploré auparavant : l’Ecocritique. « Le terme est né aux Etats-Unis à la fin des années 1970 sous la plume de William Rueckert. » Ce chercheur américain signe alors un article intitulé Literature and Ecology : An Experiment in Ecocriticism. « C’est un domaine de recherche dans lequel la France accuse un retard considérable » ajoute Nathalie Prince. Un retard que le programme Ecolitt entend commencer à combler.

L’écocritique apparaît aux Etats-Unis

La première tâche de l’équipe a été de rassembler un corpus de textes : plusieurs centaines d’albums pour enfants, de bandes dessinées, de romans pour ado… « La littérature de jeunesse c’est à la fois la littérature écrite pour la jeunesse et la littérature qui a été annexée par les éditeurs pour la jeunesse » précise Nathalie Prince. C’est par exemple le cas de Robinson Crusoé de Daniel Defoe, des contes de Grimm ou de Perrault qui n’étaient pas initialement destinés à un jeune public. « Il n’y a pas d’autre genre littéraire qui se définisse par ses lecteurs, remarque la chercheure. Avez-vous déjà entendu parler de littérature pour célibataires ou personnes du 3e âge ? » Au sein de l’équipe, Sébastian est chargé de réunir le corpus. « Pendant cette période, je ne lisais plus que ça à raison de deux romans par jour : un le matin et un autre l’après-midi. » Mais ce rythme n’est pas sans lui déplaire. « C’est un vrai bonheur de chercheur de travailler sur cette matière : c’est une littérature qui ne se soucie pas de s’inscrire dans ou contre une tradition. » « Elle est inventive, audacieuse, toujours prête à se renouveler, complète Nathalie Prince. Ce genre est en prise directe avec l’actualité. »

* Le programme EcoLitt est l’un des « paris scientifiques régionaux ». Ce dispositif permet à une équipe de chercheurs régionaux issus d’un ou plusieurs laboratoires d’explorer un sujet scientifique innovant.


Ecofiction : naissance d’un genre

Premier constat de l’équipe d’EcoLitt : les livres de jeunesse accordent une place très importante à l’environnement. « C’est un thème hypertrophié, il est partout » confirme la chercheure. Pour les plus jeunes lecteurs, les auteurs s’intéressent « aux petits animaux ou espèces en voie de disparition » et de citer l’incontournable Arche de Barbapapa d’Anne Tison et de Talus Taylor. Aux plus âgés, les éditeurs proposent des « dystopies et des thrillers écologiques » à l’instar de la série à succès Hunger Games de Suzanne Collins ou d’Ecoland de Christian Grenier… « On a même inventé un terme spécifique pour désigner ce genre littéraire : on parle désormais d’Ecofiction. » Gentillettes histoires animalières ou tragédies écologiques, l’émergence du thème de la nature dans les livres pour jeunesse rejoint une tendance ancienne du genre. « C’est une caractéristique historique de cette littérature. Elle doit à la fois plaire et instruire, le jeune lecteur ne doit pas perdre son temps à lire. » Reste une question : la littérature se fait-elle simplement l’écho d’une préoccupation de nos sociétés ou contribue-t-elle à la faire naître ? Nathalie Prince choisit de répondre en citant une phrase de Proust extraite du Temps retrouvé : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. »

Kogito.fr

Des bulles très nature

Cette sélection de bandes dessinées est tirée du travail des chercheurs d’EcoLitt

En 2137, la jeune Kanopé vit au cœur de la forêt amazonienne après une catastrophe nucléaire. Elle y rencontre Jean, un jeune homme étranger à la forêt. Mais ce dernier tombe rapidement malade à cause des radiations. Ecologie et communion avec la nature sont au cœur de cette belle BD de science-fiction post-apocalyptique. Kanopé, Joor – Louise, Collection Mirages, Éditions Delcourt, 2014, 128 pages. © Éditions Delcourt

Infos complémentaires

A dévorer : 3 romans conseillés par Sébastian Thiltges

Rozenfeld Carine, Les Clefs de Babel, Syros, 2009, 273 p
Hubert Jean-Pierre, Sa Majesté des clones, Mango Jeunesse, 2009, 197 p. 
Hinckel Florence, Théa pour l’éternité, Syros, 2012, 238 p

Pour aller plus loin

EcoLitt, le projet de recherche sur l’écologie en littérature 
Nathalie Prince, La littérature de jeunesse. Pour une théorie littéraire, Paris, Armand Colin, éd. enrichie, 2015, 247 pages

Master littérature pour la jeunesse à distance

Dispensé uniquement en ligne, les deux années de ce master de l’Université du Maine visent à développer une culture et une réflexion sur la littérature de jeunesse. Le M2 professionnel forme des éditeurs, des bibliothécaires ou des libraires spécialisés.

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